Le jour du plébiscite a marque pour le parti communiste allemand le début d'une ère de répression. Le lendemain, l'organe des bolcheviks allemands, était suspendu, et la maison Karl-Liebknecht fermée. On envisageait même une interdiction générale du parti rouge.
En définitive, le parti n'a pas été interdit, le gouvernement s'étant rallié à l'opinion exprimée à la fois par les politiciens libéraux et par ceux qui ne se font pas d’illusion, dans l'état actuel des choses, sur la portée d'une pareille mesure. « L'interdiction dont il était question, explique la Frankfurter Zeitung, serait vaine. La ligue du Front rouge a été dissoute ; elle n'en poursuit pas moins sa carrière sous d'autres formes. En 1924, le parti lui-même fut interdit pendant quelques mois, aux élections de mai, il entraînait 3.700.000 suffrages. »
Mais la Rote Fahne fut bien supprimée et la Maison rouge, Bülowplatz, surveillée jour et nuit par la police. C'est que l'alerte avait été chaude, à Berlin surtout. Là participation communiste au plébiscite s'était, en effet, traduite beaucoup plus par des incidents sanglants que par l'afflux des bulletins de vote, et l'on se préoccupe encore en Allemagne des attentats méthodiquement organisés par les bolcheviks à cette occasion. Les cellules de terrorisme, formées sur l'ordre de Moscou, et dont, on parlait depuis quelque temps, avaient, cette fois, manifesté leur existence.
Les communistes allemands ont renoncé depuis longtemps à l'usage exclusif des « masses » bolchévisées pour provoquer des troubles. Nantis d'une expérience cruellement acquise au cours des nombreuses journées sanglantes que le Reich a connues depuis 1918, les chefs rouges avaient, il y a deux ou trois ans, organisé des escouades d'assaut. Le rôle de ces formations, composées chacune de cinq ou six militants, consistait à transformer les foules prolétariennes conglomérat informe, malléable, peu résistant en un bloc de béton armé....
Les soviets s’occupent eu ce moment, avec une attention particulière, des événements germaniques, et la presse allemande souligne la campagne formidable faite par les journaux ou la T.S.F. russes pour annoncer au public que « l'Allemagne est à bout..., que les prolétaires ne peuvent plus y vivre..., que la révolution y est inévitable... ».
Il est même amusant de constater comment, à ce sujet, la Frankfurter Zeitung conteste, dans une certaine mesure, cette « détresse allemande », qu'en d'autres occasions elle peint avec les couleurs les plus sombres. Cela ne va évidemment pas, accorde-t-elle ; mais, tout de même, les Soviets exagèrent pour convaincre leurs sujets de leur bonheur relatif, pour les persuader de la prochaine extension du régime révolutionnaire à l'étranger et aussi pour leur faire admettre la nécessité de traiter avec la France, puisque l'allié allemand est trop affaibli. D'ailleurs, d'autres organes — tous les journaux nationalistes d'extrême droite, avec le Volkischer Beobachter, et même des feuilles nationalistes modérées, tel le Jungdeutsche vont jusqu'à parler d'un « encerclement de l'Allemagne » à propos des négociations franco-soviétiques et polono-soviétiques. L'U.R.S.S. ne reconnaîtrait-elle pas indirectement l'état de choses créé en 1918 aux frontières orientales du Reich ?
Il y a, enfin, pour expliquer les actes terroristes, d'autres causes, qui appartiennent, celles-là, à. la politique intérieure du parti communiste allemand un ancien député bolchevik, passé à la Sociale-Démocratie, M. Bartels, nous le fait pressentir en révélant dans la presse socialiste les incidents du Comité central communiste. Le chef officiel du parti, Thälmann, était hostile à toute participation au plébiscite. Les masses, disait-il, ne comprendraient jamais l'appui apporté à une manifestation de l'extrême-droite. Heinz Neumann, l'homme de confiance de Moscou, et ses amis étaient persuadés, au contraire, que le bolchevisme ne peut aboutir pas ses propres moyens mais doit se faire ouvrir la voie par le fascisme....
Le chancelier Brüning
Les moindres gestes du Chancelier Brüning appartiennent aujourd'hui à l'histoire. Pourtant l'homme reste à peu près inconnu, même dans sort propre pays. Certes, ennemis comme amis s'accordent pour rendre hommage à sa prodigieuse énergie, à l'incorruptibilité et aux conceptions d'envergure du Chancelier du Reich, mais l'auteur des décrets-lois est toujours, aussi bien pour l'immense majorité des politiciens que pour le grand public, un être distant, inabordable et énigmatique. Il n'est pas de ces personnalités qui passionnent les foules, car ce n'est ni un coup prodigieux de la fortune, ni une ambition âprement défendue qui l'a placé, à l'âge de 46 ans, au gouvernail d'un Etat de premier rang. Les qualités qui ont assuré le succès de sa carrière n'ont rien qui puisse donner prise à une publicité tapageuse : une étonnante capacité de travail, une volonté de fer et surtout un ascétisme rigoureux.
L'auteur de l'unique brochure publiée jusqu'ici sur la vie du Chancelier, M. R. R. Beer, commence son ouvrage par deux citations que nous jugeons intéressantes de reproduire. La première est tirée d'un numéro de l'Evening Standard de Londres : Le Chancelier du Reich est l'unique homme d'Etat européen qui ne possède qu'un seul complet de rechange. Lorsqu'il emménagea au palais de la Wilhelmstrasse, il n'apportait avec lui qu'une valise ; nul doute qu'en le quittant il n'aura pas un bagage plus encombrant.
L'autre citation reproduit les paroles de Brüning lui-même, prononcées, il y a quelques années, lorsqu'il n'était que le syndic modeste des organisations d'ouvriers chrétiens : La société ne peut avoir confiance dans l'homme d'Etat qu'à condition d'avoir la certitude que le politicien est à même de pousser à l'extrême l'abnégation et le dévouement dans l'intérêt de la communauté.
Un an plus tard, lorsque Stegerwald, ministre de l'Hygiène sociale, et membre du parti catholique, a besoin d'un secrétaire particulier, c'est à Brüning qu'il s'adresse. Cependant, le ministre est de plus en plus occupé de questions politiques et c'est à son secrétaire qu'incombe le labeur écrasant de l'organisation moderne des syndicats ouvriers.
Sa prodigieuse capacité de travail, ses dons d'organisation tout comme sa remarquable érudition lui assurent, de plus en plus, l'estime de ses camarades de parti. C'est ainsi qu'on va lui confier bientôt le poste de rédacteur en chef de l'organe officiel des syndicats chrétiens. Toutefois, le travail de journaliste avec la recherche continue de l'effet qu'il comporte ne lui convient guère, et c'est avec un soupir de soulagement qu'il quitte cette fonction. Malgré son désintéressement et son intégrité incontestables, c'est avec une certaine réserve qu'on l'accueille, à son retour, dans les syndicats chrétiens. Néanmoins, on est vite obligé de se rendre compte que cet homme est un fanatique de l'action et qu'il ne vient pas là pour se mettre en vedette, mais pour travailler.
En 1924, Brüning est élu député. Son élection n'a pas eu lieu sans difficulté. Il était le deuxième de la liste de son parti dans une circonscription paysanne où son attitude gauche, son air myope de rat de bibliothèque et sa sobriété oratoire sont peu faits pour plaire aux foules. Ce n'est que grâce à la popularité du premier candidat catholique qu'il parvient à conquérir un siège au Reichstag.
Une fois dans l'assemblée, il se comporte comme autrefois dans son organisation politique : il n'avance que très lentement. Il ne cherche ni à éblouir ni à attirer l'attention de ses collègues ; il s'occupe des questions les plus ingrates des problèmes financiers et particulièrement de ce qui concerne l'organisation des impôts. ....
Choix de textes :
Jean Aikhenbaum
Sources : Presse années 1930 /35 - Je suis partout 1931